Un réseau, en dehors de toute discipline particulière, a des propriétés intrinsèques, sur lesquelles différentes conceptions théoriques se sont basées (ou se basent) pour développer leur propre modèle.
En effet, quel que soit le champ scientifique empruntant à ce terme, le réseau est caractérisé par son aspect de maillage, tissage de nœuds plus ou moins équivalent reliés point à point, ses qualités d’ouverture, d’extension et de souplesse ainsi que sa capacité et à enserrer solidement, et à évoluer en permanence.
Ces propriétés caractéristiques confèrent à la figure du réseau une efficacité illustrative, ce qui lui vaut d’être exploitée dans de nombreux domaines, très divers, notamment dans des théories économiques qui voient dans l’organisation en réseau un modèle prometteur.
Pierre Musso, dans son ouvrage de critique des réseaux (Musso, 2003), évoque en particulier la philosophie des réseaux développée par Claude-Henri de Saint-Simon au début du dix-neuvième siècle, dont la vision prend appui sur les innovations techniques pour élaborer une doctrine socio-économique.
Le développement de grands travaux, c’est à dire de réseaux, serait libérateur, pour Saint-Simon, car ceux-ci pourvoiraient en emplois et en bénéfices industriels. Pour Musso, l’idéologie des réseaux prend racine dans cette philosophie de Saint-Simon, qui aurait ensuite évolué vers un fonctionnement de type sectaire, où les disciples du saint-simonisme s’attribuent un rôle apostolique.
Manuel Castells développe également le modèle d’une économie fondée sur la figure du réseau (Castells, 1998). Il constate que le réseau est sous-jacent à la structure de base de la société actuelle.
Dans son ouvrage, Castells décrit l’émergence d’une société informationnelle où ce qu’il nomme l’« informationnalisme » serait une sorte de capitalisme informationnel dans lequel l’information serait la matière première des innovations futures.
Pour Castells, il s’agit d’un mode récent de développement des sociétés, auquel est associée la nouvelle structure sociale que représente l’entreprise en réseau. Ce fonctionnement serait efficace du fait même de l’organisation des entreprises en réseau, qui favorise l’activité de traitement du savoir, l’une des caractéristiques de l’informationnalisme, car « les organisations qui réussissent sont celles qui peuvent générer du savoir et traiter l’information, s’adapter à la géométrie variable de l’économie globale, être assez souples pour changer leurs moyens aussi vite que leurs objectifs évoluent, sous l’impact des rapides transformations culturelles, technologiques et institutionnelles ; et innover, l’innovation devenant l’arme clé de la concurrence. » (Castells, 1998 : 208).
Ces deux modèles théoriques relient le bénéfice financier au développement technique qui suit la forme du réseau et hérite ainsi de ses propriétés.
Boltanski et Chiapello, dans l’aperçu qu’ils donnent de la multiplication des travaux sur les réseaux, indiquent qu’ « il n’est pas la peine d’insister, tant cela va de soi, sur la façon dont le développement considérable des dispositifs techniques de communication et de transport, a pu stimuler l’imagination connexionniste. » (Boltanski et Chiapello, 1999 : 227).
Dans la littérature de management des années 1990 qu’ils ont étudiée, la référence au réseau est associée à ses qualités d’ouverture et d’extension, contrairement à la littérature de management des années 1960 qui, le peu de fois où elle utilise le vocable, fait plutôt référence aux mailles d’un réseau contenant et contraignant, tel un filet de pêche.
On le voit avec ces trois références, l’image du réseau est récurrente dans la sphère économique et entrepreneuriale pour représenter des valeurs positives et innovantes de gouvernance d’entreprise et de management des salariés.
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BOLTANSKI, Luc et CHIAPELLO, Ève, 1999. Le nouvel esprit du capitalisme. Paris : Gallimard.
CASTELLS, Manuel, 1998. La société en réseaux. Paris : Fayard.
MUSSO, Pierre, 2003. Critique des réseaux. Paris : Presses universitaires de France.